Roland, 81 ans, vient d’installer son épouse dans un EPHAD, après avoir été son aidant à temps complet, pendant plus de deux ans. Mais le soulagement qu’il espérait ressentir cède la place au chagrin de savoir sa compagne toute seule.
Mon épouse, Claire-Marie, 82 ans, vient d’intégrer le service de soins palliatifs d’une maison de retraite. Et je ne me sens pas soulagé. Cela faisait des mois que j’espérais cette issue. Son hospitalisation à domicile était devenue épuisante pour moi. Jour et nuit, je vivais sous tension, prêt à répondre à tous ses besoins : lui donner à boire, l’aider à se lever, la consoler, lui apporter le téléphone, lui faire à manger…. A cette multitude de taches, s’ajoutaient l’irritabilité, les scènes de jalousies et la mesquinerie de Claire-Marie. Depuis qu’elle souffre d’un cancer et que des métastases colonisent son cerveau, sa personnalité a changé et nos relations sont devenues tendues. Dès que je m’éloigne de son champ de vision, elle a l’impression que je l’abandonne. Pas mécontent donc d’avoir mis un terme à mon épuisement. Car oui, oui, je me sens épuisé. Un rien me paraît une montagne. L’autre soir, des amis sont passés à l’improviste et l’idée d’avoir à leur préparer un thé m’a paru insurmontable. Mais depuis que Claire-Marie a quitté la maison, je tourne en rond. Je ne sais pas quoi faire. Elle m’a tellement absorbé que je ne sais plus qui je suis quand elle n’est pas là. Ni comment occuper mon temps. Ni où m’installer ? Sur ce fauteuil, sur cette chaise ? Tout seul ? Surtout, ce qui me peine, c’est qu’elle vit dans un Ehpad qui interdit les visites quotidiennes. Aberrant, sachant qu’elle est vaccinée contre le Covid et moi aussi ! Claire-Marie, qui, le médecin me l’a répété, est en fin de vie, passe ses journées seule, assise dans un fauteuil. Elle ne lit plus, ne regarde plus la télévision. Elle n’en a plus la force. Quand j’arrive – pour les trente minutes qui me sont accordées – elle pleure et me répète qu’elle voudrait mourir. J’en ai parlé à la cadre infirmière de l’établissement qui a réagi en bloquant sa fenêtre pour prévenir toute tentative de suicide. Et non pas en me proposant de venir plus souvent ou d’organiser un repas avec nos enfants. Je me suis battu pour que ma femme vive le plus longtemps possible à la maison. J’y ai laissé des plumes d’ailleurs : je me suis moins occupé de moi et j’ai laissé trainer une douleur dans l’épaule qui est devenue chronique. Et maintenant, alors que Claire-Marie pourrait mourir d’un jour à l’autre, je dois accepter de la laisser traverser son dernier printemps, seule dans une chambre d’Ehpad. Quand j’entends les gens se mobiliser pour mourir dans la dignité, je voudrais leur dire de se mobiliser aussi pour une fin de vie dans la dignité. La vie ne mérite-elle pas qu’on la fête et qu’on l’honore jusqu’au bout ? Que valent les règlements administratifs face à la vie qui est toujours là ?
Roland, ex-proche aidant.