La colère est une émotion fréquemment ressentie par les aidants durant leur expérience d’aide à leur proche. Parfois dirigée vers un autre, parfois sans direction apparente, elle peut dans tous les cas être vécue comme douloureuse et coûteuse pour celui ou celle qui l’éprouve.
La colère, une émotion naturelle
Sortons tout d’abord du clivage émotion positive/émotion négative. La colère est une émotion naturelle et spontanée, qui traduit une frustration liée au décalage entre la réalité telle qu’elle est et la réalité telle que l’on aimerait qu’elle soit. C’est une émotion pleine de nuances, on peut être en effet plus ou moins en colère : mécontent, exaspéré voire indigné. Elle peut s’exprimer dans des situations très diverses du quotidien.
Différencier l’émotion et le comportement
Quand il s’agit de colère, il parait important de bien discerner le ressenti de colère, qui est naturel, et les conséquences de ce ressenti, c’est-à-dire le comportement que l’on a sous l’égide de la colère (exemple : je crie, je suis agressif avec l’autre…). Le ressenti peut être considéré comme un signal d’alarme, qui vient m’alerter sur ce que je vis dans une situation précise, et qui vient me pousser à réfléchir sur ce qui est difficile pour moi. « Il y a là quelque chose qui m’exaspère, mais quoi ? ». Le ressenti de colère peut apparaitre pour des évènements apparemment anodins qui viennent en général activer des blessures plus profondes.
Quant aux conséquences de ce ressenti, elles peuvent être aussi bien destructrices que libératrices. Le comportement colérique, qu’il soit dirigé vers un autre ou pas, peut en effet être délétère quand il est répétitif et quand il ne permet pas d’aboutir à un changement.
Colère due à l’épuisement
Dans la situation des proches aidants, la colère s’installe parfois dans la relation aidant-aidé et se répète de manière croissante, sans qu’il n’y ait la possibilité d’y trouver une issue favorable. Ce sentiment de colère réciproque au sein de la dyade aidant-aidé survient en général lorsque la personne aidante arrive à une situation d’épuisement. L’épuisement chez le proche aidant apparaît comme une faillite énergétique, conséquence d’un surinvestissement d’énergie en situation de faible retour : Aider son proche n’est pas toujours une position gratifiante, surtout lorsque l’état du malade ne s’améliore pas malgré toute l’énergie déployée dans ce sens. Et il n’y a, dans certains cas, aucune reconnaissance. La personne aidée n’est pas toujours en accord avec l’aidant et peut refuser son aide quand celle-ci n’est pas acceptable ou ne fait pas sens pour elle. Ainsi, pour les proches, donner du sens au comportement du malade, fournir une réponse adaptée demande des efforts croissants. La mobilisation d’énergie, pourtant coûteuse, ne garantit jamais le succès. Le comportement colérique peut être particulièrement couteux psychiquement, absorbant le peu d’énergie qu’il reste encore à l’aidant. Sans compter qu’il peut générer d’autres expériences émotionnelles souvent vécues comme désagréables comme la culpabilité, la honte ou l’auto-jugement.
Émilie Gabillet, psychologue clinicienne, chargée de cours à l’université Paris-Descartes et coordinatrice de groupes d’aide aux Aidants