Fabienne est mère de trois enfants, dont l’un – Noé, 16 ans – est atteint d’autisme. Au quotidien et avec son association Les enfants d’Hélène, elle l’accompagne en veillant à ne pas oublier sa famille, son couple… et elle-même.   

Quand il était petit, Noé aimait grimper à toute allure sur les « araignées » dans les aires de jeux pour enfants. Fallait voir l’admiration dans les yeux de son petit frère ! Il était très impressionné par sa force et son agilité. Plus tard, ce sont les fenêtres et les murs de notre maison que Noé s’est mis à escalader… On l’a retrouvé plusieurs fois sur le toit ! Il doit avoir un super ange gardien : même s’il lui en est arrivé de belles – il a failli se noyer l’année dernière chez des amis – il s’en est toujours sorti.

Mais mon mari Thierry et moi, on a quand même eu quelques frayeurs. Alors il y a huit ans, on a déménagé avec nos deux garçons et leur grande sœur. Ici, dans sa chambre, il y a plus de verrières intérieures et de Velux en hauteur que de fenêtres classiques, par lesquelles Noé pourrait se faufiler. On sait qu’il est en sécurité. Autre avantage : il n’y a aucun vis-à-vis et peu de proximité. Donc le voisinage n’est pas dérangé par le bruit qu’il fait – il crie beaucoup. Notre seul voisin fait autant de bruit que lui avec ses fêtes régulières. Tout le monde s’y retrouve !

Trouver son équilibre

Noé a aujourd’hui 16 ans. Il passe quatre jours et deux nuits par semaine dans un IME (Institut médico-éducatif). C’est le seul dans l’Hérault à compter des professionnels formés à la prise en charge des enfants autistes. Une chance d’avoir pu lui trouver une place ! Le mercredi, je l’emmène au centre de loisirs de l’association dont je suis la présidente, Les enfants d’Hélène [voir encadré]. C’est un temps précieux pour Noé. Il peut partager des activités et des vacances avec des adolescents de son âge, handicapés et valides. Depuis quelques années, je me suis libérée des rôles d’éducateur, orthophoniste, enseignant, que j’ai délégués à l’IME et aux animateurs de l’association. Ça a été un vrai soulagement.

Maintenant, à la maison, je peux profiter avec bonheur de moments plus détendus avec mon fils. On rit plus ensemble, je le prends souvent dans mes bras. Mais comme il n’est pas autonome, il faut toujours l’accompagner dans les gestes du quotidien (douche, repas, habillement). Et gérer ses crises très régulières. Quand mon mari est là, il me relaie. On a mis aussi en place quelques règles pour profiter du temps en famille. Noé mange avant nous. Ensuite, il ne peut rester dans le salon que s’il contient un peu ses cris. Il adore être avec nous, donc il sait parfois se calmer – la télé aide souvent !

Il est aujourd’hui plutôt bien dans ses baskets. Il a une vie sociale, et le suivi à l’IME est personnalisé et attentif. De mon côté, j’ai la chance d’avoir du temps pour moi. Alors j’en profite ! Je vois des amis, je vais au cinéma, je tiens le gîte que nous louons à côté de la maison, et je m’investis dans mon association. J’en ai pris la présidence en 2011 alors que beaucoup de projets étaient en gestation. Les mener à terme, trouver des financements a été très stimulant sur le plan personnel et intellectuel. Et surtout, je me suis entourée de gens qui vivaient la même chose que moi. Ce qui m’a beaucoup aidée. J’ai compris qu’il était plus qu’essentiel de partager son expérience quand on s’occupe de son enfant dépendant.

Accepter de changer de vie

L’arrivée du handicap dans une vie est un choc. Le digérer m’a demandé des efforts et du temps. À ses 12 mois, sans qu’il y ait eu de changement dans notre vie, le comportement de Noé a radicalement changé. En quelques semaines il a perdu les quelques mots qu’il avait acquis, remplacés par des cris quasi permanents. Les contacts visuel et physique sont devenus difficiles voire impossibles. La pédopsychiatre que nous avons consulté a d’abord refusé de faire un bilan complet : « un diagnostic enfermerait votre fils dans une case ! » On a entendu parler de psychose infantile, de « dysharmonie évolutive » … Je le trouvais très harmonieux, moi, mon fils ! Et surtout, il collait plutôt aux caractéristiques d’un enfant autiste. J’ai fini par obtenir qu’il soit diagnostiqué à ses 4 ans.

Il a fallu tant bien que mal adapter notre façon de vivre. Gérer les hurlements, les comportements inadaptés, les crises en public. Je peux comprendre que des gens qui ne connaissent pas le handicap soient surpris, voire méfiants. Mais cela reste difficile de lire du dégoût dans leur regard. Les sorties en famille se sont raréfiées, les vacances lointaines sont devenues impossibles. Le train, l’avion, le restaurant, nous y avons renoncé dès ses trois ans.

Et puis j’ai dû quitter mon emploi dans la finance, que j’aimais beaucoup, pour me consacrer à Noé. Je suis devenue maman et aidante à plein temps. Car il m’en fallait, du temps, pour me lancer dans ce parcours du combattant pour que mon fils soit pris en charge ! Il est allé pendant trois ans à l’école de notre village accompagné d’une AVS. J’ai ensuite réussi à le faire admettre dans une CLIS (Classe pour l’inclusion scolaire) avant l’IME. Chaque étape a été douloureuse : refus d’admission, jugements portés sur Noé, culpabilisation – on me disait que mon enfant prenait la place d’un autre. Dans quatre ans se posera la question de la structure adulte qui l’accueillera. Nous mettons de l’argent de côté au cas où nous n’en trouvons pas, pour payer des intervenants à domicile. Y compris, peut-être, après nous – j’essaie de ne pas trop penser à cette éventualité. 

À la maison j’ai dû revoir ma façon d’être mère. Un précieux enseignement. J’ai vite réalisé que je ne pourrais pas éduquer Noé comme sa grande sœur. Lui crier dessus ou lui donner de petites tapes ne sert à rien : il est incapable, aujourd’hui encore, de faire la différence entre une bousculade par erreur et une tape volontaire. J’ai donc appris à me mettre à sa hauteur, à expliquer, réexpliquer. J’ai adopté la même méthode avec son petit frère, arrivé trois ans après lui. Je me suis sentie beaucoup plus à l’aise avec cette façon de faire. Merci Noé !

Ajuster les liens familiaux

Il a fallu apprendre à m’occuper de lui sans oublier les besoins de sa grande sœur, Salomé (20 ans) et de son petit frère, Solal (13 ans). Ma fille me reproche parfois l’attention spéciale que je porte à Noé. Surtout depuis qu’elle a quitté la maison et qu’on se voit moins souvent. Bien sûr, je consacre plus de temps à son frère. Comment faire autrement ? Je crois pourtant faire de mon mieux. J’essaie de traiter mes enfants avec le plus d’égalité possible. Solal se plaint des cris de Noé ? Je lui fais remarquer que lui aussi agit parfois de manière énervante ! Mais je n’hésite pas non plus à envoyer Noé dans sa chambre s’il n’arrive pas à calmer une crise. Handicapé ou non, chacun a son caractère et ses besoins particuliers. Il faut l’accepter.

D’ailleurs, Salomé et Solal vivent avec le handicap de leur frère sans presque en avoir conscience. Je l’ai réalisé le jour où, petite, ma fille m’a rapporté qu’elle avait refusé de jouer avec une camarade parce qu’elle était handicapée. J’étais stupéfaite. Je lui ai répondu : « mais toi aussi tu as un frère handicapé, ce qui ne t’empêche pas de l’aimer beaucoup ». Elle a eu l’air surprise ! Quant à Solal, il invite régulièrement des amis à la maison, sans même penser à mentionner le handicap de Noé. Il faut voir leurs yeux ronds quand celui-ci commence à crier… Je suis heureuse de constater que, dans la fratrie, Noé n’est pas laissé à l’écart. Salomé est très câline, protectrice avec lui. Solal est toujours content de le retrouver après une nuit à l’IME. Et puis, ces soirées que Noé passe à l’extérieur ménagent un temps où il peut pleinement occuper l’espace sans se le faire disputer.

Les absences de Noé sont aussi l’occasion de nous retrouver, mon mari et moi. C’est fondamental pour tenir le coup. On a de la chance car beaucoup de couples cassent. C’est compréhensible : les disputes se multiplient, les moments à deux disparaissent. Le plus difficile est d’accepter que l’autre n’ait pas la même vision que soi. De mon côté, je me suis jetée à corps perdu dans la lutte pour la prise en charge de Noé ; je me suis engagée dans l’association… Thierry n’a pas compris cela. Il adore son fils, ils ont une très belle relation de complicité. Mais il était hors de question pour lui de délaisser sa carrière et de faire tourner sa vie autour du handicap. Il a fallu du temps, beaucoup de travail des deux côtés et de communication pour accepter que l’autre n’appréhende pas la situation de la même façon. Sans forcément le comprendre. Aujourd’hui nous avons une relation beaucoup plus apaisée.  Il nous arrive de nous disputer, mais moins qu’avant. 

Est-ce que je regrette ma vie d’avant Noé ? Absolument pas. Alors oui, je travaillais, je voyageais beaucoup, ma relation de couple était plus facile… En fait, j’étais à mille lieues de m’ouvrir aux autres. Maintenant, je suis beaucoup plus sensible aux luttes sociales. Pas seulement à celles qui concernent les personnes handicapées : le racisme, l’égalité des sexes, et même l’écologie ont toute mon attention. Je pense aujourd’hui à passer la main concernant la présidence de l’association. Mais une chose est sûre : ce n’est que le début de mon engagement.

Asso Les enfants d’Hélène

Fondée en 2008, l’association Les enfants d’Hélène dans l’Hérault agit pour la mixité des publics avec et sans handicap. Son action s’articule autour de trois axes.

1 – L’accueil d’enfants et adolescents, handicapés ou non, dans des centres de loisirs le mercredi. Ils ont également la possibilité, deux week-ends et trois fois une semaine par an, de partir ensemble en mini-camp.

2- L’organisation de séances de cinéma mensuelles, « mixtes » également.

3 – La formation et l’information : les membres de l’association participent à des colloques, interviennent dans des lieux de formations et auprès de professionnels de l’animation.

Ses objectifs : offrir un soutien aux parents et une vie sociale à des enfants souvent isolés. Et permettre des moments de partage au-delà des différences. http://lesenfantsdhelene.blogspot.com/ 

Marika Droneau, journaliste