Devoir foncer sur le téléphone de ses bénéficiaires pour indiquer sa présence à leur domicile gâche les retrouvailles. C’est l’avis de Mathilde, une auxiliaire de vie qui aimerait commencer ses interventions avec plus de décontraction.
J’aimerais passer plus de temps à dire « bonjour » lorsque je commence une intervention chez un bénéficiaire. Mais depuis qu’on nous oblige à timbrer – dès qu’on arrive chez une personne, on doit composer un numéro avec son téléphone pour valider notre présence à son domicile -, les retrouvailles sont escamotées. Quand la porte s’ouvre… enfin, (il faut souvent sonner plusieurs fois pour que le bénéficiaire réagisse), on doit courir jusqu’au téléphone pour signaler au plus vite qu’on est là. Je déteste démarrer ainsi. J’ai l’impression d’être impolie. De priver le bénéficiaire qui m’accueille d’un moment d’humanité, où l’on se regarde vraiment, se sourit, parfois se sert la main. Car je le sais, les bénéficiaires sont contents de me voir. Ils m’attendent. Je suis, pour certains, la seule personne à qui ils parleront dans la journée. Ils m’ont parfois préparé un café. Ou ils ont soigné leur apparence. Madame Chic, une dame que j’appelle ainsi car elle est toujours très coquette, se remet du rouge à lèvres juste avant mon arrivée. Une autre se recoiffe. Et puis, venir m’ouvrir la porte représente pour certains une effort physique important : je pense à une dame en particulier qui marche en s’agrippant à son déambulateur. Je la découvre généralement toute essoufflée. Mais, à peine la porte s’est-elle ouverte que je me précipite dans son appartement pour aller timbrer, en la laissant en plan derrière moi. J’ai l’impression d’être un robot qui fonctionne de manière mécanique. Sans sensibilité. Je devine le regard désappointé des bénéficiaires sur moi, leur jugement. Ils se disent peut-être que je manque d’éducation. Que je viens chez eux juste pour gagner ma vie et que je me fiche de savoir s’ils vont bien ou pas, en ne prenant pas quelques minutes pour les saluer avec chaleur. Ceux qui nous embauchent et qui sont soucieux de tracer nos interventions devraient intégrer cette donnée : on n’entre pas en trombe chez une personne retranchée du monde, qui a d’abord besoin d’établir un contact avec une présence humaine.
Mathilde, auxiliaire de vie.