La connaissance du grand âge s’affine mais peine à se diffuser dans les pratiques des professionnels de la gériatrie. C’est le constat du psychologue clinicien Jacques Gaucher.

Jacques Gaucher *, les spécificités psychiques des personnes âgées sont-elles mieux connues depuis que la gériatrie est devenue une spécialité médicale ?  

«  La connaissance du grand âge s’affine. Mais elle se diffuse peu. Je constate que les professionnels de la gériatrie ont encore du mal à ne pas projeter leurs représentations du bon et du bien sur les gens âgés. Ils valorisent l’action, par exemple. Or, les gens âgés désinvestissent l’action parce que leur corps les trahit, les fait souffrir.

Qu’est-ce qui reste incompris ?

Nous devrions davantage tenir compte du fait que la vieillesse génère une crise existentielle. Le départ à la retraite, le sentiment d’isolement social qui en résulte, l’impression de ne plus intéresser personne lancent les personnes âgées dans une quête métaphysique. Qui suis-je, que fais-je, qu’est-ce qu’on attend encore de moi ? Elles s’interrogent. Et pour trouver les réponses, elles se réfugient dans leur passé. Elles essaient d’y trouver une cohérence par rapport à leurs choix de vie. Ce qui va à contre-courant de nos valeurs. Nous sommes tournés vers le futur. Les gens âgés feuillettent leur vie à l’envers, pour l’analyser et réfléchir à ce qu’elles sont devenues et pourquoi. Est-ce que je suis encore une personne qui a du sens ?

Que serait-il souhaitable que les professionnels de la gériatrie intègrent dans leurs pratiques ?

Quand une personne âgée parle de la mort, on la croit dépressive ; quand elle s’isole dans sa chambre, on cherche à la stimuler, car on a peur qu’elle sombre. Or bien des gens âgés souhaitent rester dans leur chambre pour être en prise avec leur monde intérieur. Dans les Ehpad, on voudrait emmener les vieux dans des activités, mais parfois rester assis auprès d’autres vieux est exactement ce qui leur convient. Ils sont en prise avec le monde extérieur via des présences neutres qui n’interfèrent pas avec leur travail intérieur ».

Véronique Châtel

* psychologue clinicien, professeur de psychologie clinique de la santé et du vieillissement à l’université de Lyon 2.