Qu’est-ce que l’empathie ? Interview de Jacques Lecomte, docteur en psychologie et président de l’Association française et francophone de psychologie positive.

Comment définissez-vous l’empathie ?

J’aime bien la définition qu’en donne le psychologue Carl Rogers, dans le courant de la psychologie humaniste : « Sentir le monde privé de l’autre comme s’il était le vôtre, sans jamais oublier la qualité de “comme si” – telle est l’empathie. » 

Quelles dimensions revêt l’empathie, selon vous ? 

J’en distingue trois : l’empathie émotionnelle, l’empathie cognitive et l’empathie comportementale. 

La première est cette capacité d’approcher l’émotion de l’autre sans fusion.

L ‘empathie cognitive consiste à comprendre les pensées de l’autre sans forcément y adhérer : par exemple, j’ai appris avec le temps à l’éprouver pour des personnes racistes. Avant je confondais deux choses : le refus de ces idées et celui des personnes. Comprendre ne signifie pas être d’accord, encore moins justifier. 

L’empathie comportementale, moins étudiée, correspond à ce qu’on appelle les comportements caméléon : quelqu’un baille, vous aurez tendance à bailler. Il semble qu’elle soit corrélée à l’empathie émotionnelle : elle est d’autant plus forte que les affinités sont grandes et elle les renforce.

L’empathie est-elle une attitude toujours positive ? 

Une personne qui a une forte empathie cognitive mais très peu d’empathie émotionnelle est dangereuse dans ses relations : elle peut être dans la manipulation de l’autre et n’éprouver aucune souffrance quand vous souffrez. C’est ce qui se passe dans le cas des pervers narcissiques.

Etre empathique signifie-t-il se mettre à la place de l’autre ? 

 J’entends très souvent cette phrase dont l’intention est empathique mais qui peut s’avérer d’une grande violence : « Je me mets à ta place. » En réalité, mieux vaut être dans une posture modeste : je ne peux pas me mettre à ta place mais je vais essayer de t’accompagner. J’ai pu constater que c’est beaucoup mieux perçu par les personnes qui ont subi de lourds traumatismes en particulier.

Quelles erreurs les plus fréquentes fait-on face à la souffrance d’autrui ?

Notre réaction est souvent d’ouvrir une grande bouche et une grande main : donner beaucoup de conseils et faire des choses, animé de bonnes intentions. En réalité, ce dont les personnes en souffrance ont besoin, c’est d’avoir une grande oreille prête à écouter, sans intrusion bien sûr. Pendant longtemps, le dogme des personnes en souffrance était de se taire, maintenant, on a basculé dans l’obligation de parler. L’important est de sentir qu’on a la liberté de le faire.

Propos recueillis par Véronique Châtel 

* Jacques Lecomte a notamment publié La Bonté humaine. Altruisme, empathie, générosité (Odile Jacob, 2013), Guérir de son enfance (Odile Jacob, 2010) et La Résilience. Se reconstruire après un traumatisme (Rue d’Ulm, 2010). Dernier ouvrage paru : Le monde va beaucoup mieux que vous ne le croyez ! (Les Arènes, 2017).