Cela fait partie des traumatismes d’Aïcha : être entrée chez l’un de ses bénéficiaires et l’avoir découvert mort. Un risque du métier…mais comment s’y préparer ?
« Il paraît que j’ai hurlé. Et que mes cris ont retenti dans tout l’immeuble. Moi, je me souviens surtout de l’odeur dans l’appartement. Une odeur atroce ! Quand le pompier à qui j’ai parlé au téléphone m’a demandé de toucher le corps pour vérifier que le monsieur était bien mort, j’ai crié : « Mais je vous dis que l’odeur est celle d’un corps en décomposition. Pas besoin en plus que je touche le corps. Moi, je ne le toucherai pas, c’est au-dessus de mes forces ». J’avais eu un mauvais pressentiment lorsqu’il n’était pas venu m’ouvrir, ce gentil veuf. D’autant plus que j’avais remarqué que ses stores étaient fermés. Or, ce monsieur aimait laisser entrer la lumière dans son appartement dès qu’il se réveillait. Le gardien de l’immeuble ne m’avait pas rassurée non plus : il n’avait pas souvenir d’avoir vu mon bénéficiaire depuis quelques jours. Je me doutais donc, quand il a ouvert la porte avec son passe-partout, qu’un malheur était arrivé. Il n’empêche que découvrir ce monsieur, dont je m’occupais depuis des mois et dont je recueillais les confidences, allongé sur le ventre, inanimé et dans cette odeur épouvantable m’a complètement retournée. Une fois que les pompiers sont arrivés, j’ai appelé mon employeur pour lui dire que je rentrais chez moi. Je me sentais incapable de continuer ma journée et d’intervenir chez qui que ce soit. Une fois chez moi, je me suis couchée illico, sans échanger un mot avec mon mari et mes enfants. Depuis, j’ai des nuits agitées. Je me réveille souvent. Et j’ai du mal à ne pas y penser encore et encore, à cette macabre découverte. Je sais que mon métier m’expose à ce genre de situations. Je travaille pour des personnes âgées, fragiles, à qui tout peut arriver. Mais lorsque je suis chez elles, je ne pense jamais à leur mort. Maintenant, à chaque fois qu’une personne tarde à m’ouvrir, j’ai peur ».
Aïcha, auxiliaire de vie.