Apporter une aide professionnelle à la même personne plusieurs fois par jour voire par semaine pendant des mois, parfois des années, confronte à des agacements, voire à des répulsions. L’important est d’en avoir conscience et de conserver la bonne distance, affirme Françoise Bouillon.    

Dans un premier temps, les points de détails qui peuvent nous chiffonner chez certaines personnes ne sont pas vus comme des difficultés. Je fais référence à ces petites choses du quotidien qui viennent parfois heurter nos principes et devenir pesantes : gaspillage de nourriture, insuffisance de propreté, ton pas très sympathique….

Etre professionnel, c’est conserver une attitude respectueuse, sans juger et sans vouloir changer les habitudes de la personne… Cela demande inévitablement de prendre sur soi ! Mais il arrive parfois que ce que nous percevons nous amène à nous poser cette question :  « Que faisons-nous maintenant que nous avons telle ou telle information » ?

J’intervenais auprès de deux sœurs. 

La plus âgée était en relative bonne santé ; autonome, elle gérait sa maison. Mais en avançant en âge, elle perdait un peu la mémoire.  Elle avait à sa charge, et sous sa tutelle, sa sœur, plus jeune de dix ans, qui était assez lourdement handicapée physiquement et, qui, pour cause de maladie infantile, n’avait pas été à l’école : elle savait à peine lire et écrire. Toutefois, son raisonnement était cohérent. Ses difficultés à se déplacer l’obligeaient à rester la plupart du temps à la maison. 

Cela faisait quelques années que les deux sœurs vivaient ensemble chez l’aînée. Et l’aînée commençait à fatiguer :  il n’était pas rare de l’entendre reprocher à sa cadette d’être une charge, voire menacer de « la mettre en maison de retraite ». Mais comment en vouloir à cette personne, qui avait pris sur elle la responsabilité d’accompagner sa plus jeune sœur, de s’occuper des courses, de l’entretien de la maison, de gérer ses rendez-vous, de fatiguer ?

Quand vous intervenez de temps en temps, que vous rendez visite occasionnellement, vous pouvez déceler des tensions, repérer des paroles déplacées, des attitudes négatives. Mais cela vous impacte momentanément seulement.  Quand vous intervenez tous les jours, voire plusieurs heures dans une journée chez la même personne, les réparties brusques répétées, un ton systématiquement agressif génèrent un malaise tenace et forcent au questionnement. En l’occurrence, je me demandais comment la plus jeune supportait les brimades ? Et s’il fallait que j’engage une conversation avec l’aînée ? Ou encore que j’en parle au reste de la famille.  

Est-il professionnel d’intervenir quand la qualité de la relation entre les personnes chez qui nous venons travailler nous paraît toxique ?  Devons-nous nous sentir concernés par ce que nous percevons et qui n’est peut-être qu’une parcelle de la vérité…Qui sait si ces deux femmes n’ont pas toujours fonctionné ainsi, mêlant affection et brusquerie, loyauté et impatience ?  

Nous, les auxiliaires de vie, ne sommes pas de psychologues aguerris, nous intervenons avec nos moyens, nos connaissances, ce que nous pensons être le plus «juste »… 

Au quotidien, nous nous posons toutes sortes de questions et même si nous ne trouvons pas les réponses, il faut maintenir le cap : être présent à l’autre mais veiller à ne pas être intrusif. 

Françoise Bouillon