Comment apporter de l’aide à une personne en perte d’autonomie tout en respectant son intimité et son espace privé ?  Analyse d’une situation côté aidé et côté aidant.  

Scène de la vie quotidienne « côté aidé » : 

Suite à un accident avec traumatisme crânien, Isabelle, 35 ans, souffre de troubles divers – céphalées, troubles de la vigilance, du sommeil, de la parole, sans oublier les troubles sensoriels, de l’audition et de l’odorat. De plus, malgré son relatif rétablissement physique, son équilibre psycho-affectif n’est pas stabilisé. Elle connaît de brusques changements d’humeur, des phases imprévisibles de colère, ce qui complique ses relations amicales. En congé prolongé depuis plusieurs mois, cette professeure de français qui vit seule n’a pas retrouvé sa vie d’avant son accident. Elle, qui était coquette, menait une vie sociale et culturelle dense, reste enfermée chez elle en jogging le plus souvent, avec ses nouveaux amis, deux chats qui lui ont été offerts. Sa mère, qui habite dans un autre département, passe régulièrement quelques jours chez elle. 

Chaque matin à 8h30,  une auxiliaire de vie,  Sophie, débarque pour l’aider à faire sa toilette et lancer sa journée. 

Aujourd’hui, Isabelle s’est réveillée tôt. Elle a fait une toilette très légère et s’est habillée avec les vêtements qu’elle portait la veille. Elle s’est installée devant la télévision car elle veut voir une émission qui l’intéresse. Ses deux chats dorment en boule sur ses genoux et elle les câline tout en regardant l’écran.

A 8 h 30, Sophie pénètre dans l’appartement. Comme elle a les clés, elle a ouvert la porte sans avoir sonné. Depuis le vestibule, elle crie « bonjour ». Sans avoir vérifié s’il y avait quelqu’un dans le salon, elle y pénètre en s’exclamant : « Ca pue, c’est encore les chats ». Absorbée par son émission, Isabelle ne répond pas. Sa mère surgit alors dans le séjour, sa tasse de café à la main. L’auxiliaire lui adresse un salut tout en se dirigeant vers la fenêtre qu’elle ouvre en répétant : « Qu’est-ce que ça pue, les chats ».

Elle va éteindre la télévision, déloge les chats des genoux de leur maitresse d’un revers de la main et empoigne Isabelle par le bras. 

– « Venez, on va se laver ».

–  « Pas la peine, je me suis lavée ce matin ». 

L’auxiliaire insiste.

     –    « Fermez la fenêtre, il fait froid », remarque la jeune femme. 

     –     « Non ça pue encore, je fermerai après ». 

Et l’auxiliaire de vie d’entraîner Isabelle jusqu’à la salle de bain.

La mère d’Isabelle, qui a été le témoin de cette scène, en est bouleversée. D’autant plus qu’elle craint que sa fille soit perturbée par ce qui vient de se passer et fasse ce qu’elle nomme « une crise » (pleurs, énervement, agitation). C’est en effet une réaction possible lorsque sa fille est dérangée dans son organisation du moment. Doit-elle intervenir ? Et que dire ? Elle préfère attendre d’être moins émue pour parler à l’auxiliaire de vie. 

Décryptage « côté aidé ». 

Pour rester en vie, l’être humain a besoin de respirer, manger, boire et dormir. Cependant, ce n’est pas suffisant : il a aussi besoin de contacts, d’échanges avec les autres à travers le langage, le partage d’émotions et par des sensations physiques, le toucher notamment. 

Il est donc particulièrement important pour cette jeune femme émotive, vite débordée par ses émotions, positives aussi bien que négatives, d’être accompagnée par des paroles. Elle a besoin d’aide pour accomplir des gestes du quotidien, c’est vrai. Mais elle a aussi besoin d’être accompagnée tout au long de sa journée qui lui paraît longue et peu agréable du fait de ses troubles. La présence régulière de sa mère représente d’ailleurs un réconfort. Celle de ses chats, souvent sur ses genoux, aussi. 

Or avec cette auxiliaire de vie toujours un peu revêche, elle a l’impression d’être une chose et pas tout à fait une personne.

Isabelle avait très envie de regarder son émission à la télé, pourquoi l’auxiliaire s’est-elle permise de l’éteindre sans lui demander si elle était d’accord ? Et puis les chats, ça la rassure quand ils sont sur ses genoux, qu’est-ce que ça peut lui faire à Sophie ?

Dans ce qui s’est passé ce matin, pas de mots échangés, juste les paroles peu amènes de l’auxiliaire de vie. 

Elle n’a même pas pu dire qu’elle voulait attendre la fin de l’émission pour aller prendre une douche.

Scène de la vie quotidienne « côté aidant »

Sophie, 30 ans, auxiliaire de vie, vient depuis plusieurs mois chaque jour chez Isabelle. Cette jeune femme a une autonomie réduite depuis un accident qui a provoqué un traumatisme crânien. Sophie doit l’aider à la toilette, veiller à son hygiène vestimentaire. Elle s’occupe aussi de tenir l’appartement propre et de préparer les repas. Elle déjeune avec elle puis s’en va après avoir tout rangé dans la cuisine. De plus, elle essaye de faire la conversation.

Isabelle est lente, incertaine dans ses choix. C’est très énervant car elle ne sait jamais ce qu’elle veut, pour sortir, pour manger. En plus, il lui arrive de refuser la toilette. C’est pourtant le travail principal de Sophie, « l’hygiène de la personne et des locaux dans lesquels vit celle-ci ». C’est le contrat qu’elle a passé avec la mère de Isabelle. Elle bouscule un peu la jeune femme, mais comment faire autrement face à une personne si souvent hésitante. 

Sophie est agacée par tout ce temps passé à discuter de tout pour que les choses soient faites. Elle aimerait pouvoir travailler avec efficacité, dans l’ordre qu’elle a décidé : la toilette, le petit déjeuner, le ménage, les courses et enfin la préparation des repas pour le midi et le soir. Pour elle, cette organisation est logique, il n’est donc pas question de la modifier. Et surtout assurer l’hygiène lui semble un élément fondamental de sa présence auprès de Laurence. 

Alors évidemment, Isabelle râle de temps en temps, beaucoup même, mais bon, c’est comme ça…

Décryptage « côté aidant » 

Pour apporter de l’aide à une personne fragilisée, l’aidant, qu’il soit familial ou professionnel, fait avec son éthique et ses propres valeurs. Résultat : cette prise en charge est chargée de l’inconscient de l’aidant. 

L’agacement que ressent Sophie face aux hésitations et aux oppositions d’Isabelle s’explique par l’aspect « normal » de la jeune femme qui souffre pourtant de troubles importants. Elles sont toutes les deux si proches en âge et pourtant l’une est bien malade mais cela ne se voit pas d’emblée. Où se situe la frontière entre la malade et la pas-malade ? Cette interrogation est au centre des relations que l’auxiliaire de vie tisse avec cette personne dépendante dont elle s’occupe.

Cette question met d’ailleurs Sophie mal à l’aise. Elle s’en veut parfois de bousculer Isabelle et pourtant elle ne sait pas comment faire devant toutes ses hésitations, « tout ce temps perdu à ne rien faire ». Elle-même se sent lasse parfois, voire même épuisée de devoir insuffler de la vitalité à Isabelle.  

Bonnes pratiques 

  • L’odeur de notre habitat comme notre propre odeur nous sont familières. Elles nous enveloppent et nous protègent, de l’extérieur, des autres, parfois de nous-mêmes aussi… surtout quand nous sommes en situation de fragilité. Elles sont rassurantes. C’est pour cette raison que la douche prise à contre-cœur, l’aération en grand de l’appartement, le « grand » ménage sont ressentis par certaines personnes comme quelque chose de violent. Voire d’insupportable.
  • Pourtant, la préoccupation de Sophie est légitime. Les soins d’hygiène sont en effet fondamentaux mais si la personne ne veut pas prendre de douche un matin, il vaut mieux tenter la négociation plutôt que l’affrontement. L’aidant a à sa disposition plusieurs indices qui lui permettent d’évaluer la nécessité ou non d’une « grande » douche. Une petite toilette intime sera parfois suffisante et permettra justement d’éviter un conflit.

 De même, aérer la maison est nécessaire. Encore une fois pour des raisons d’hygiène. Mais il est probablement possible de différer l’ouverture des fenêtres à un moment où les deux jeunes femmes seront dans une autre pièce, ou un peu plus tard quand Laurence aura retrouvé ses repères de la journée. De toute façon, mieux vaut ajourner le projet d’ouvrir les fenêtres             plutôt que provoquer un conflit aux conséquences fâcheuses.

  • Il est nécessaire que la mère d’Isabelle engage une discussion avec l’auxiliaire de vie de sa fille, calmement, sans porter jugement. Elle reconnaît que l’appartement de sa fille pue un peu,  elle-même s’en est rendue compte. Mais elle rappelle à Sophie que les troubles dont souffre sa fille concernent aussi l’odorat qui est parfois défaillant. Et d’une façon générale, tout changement brutal est vécu comme une violence intolérable pour Isabelle. Elle a vraiment besoin d’un entourage familier, toujours le même, pour se sentir en sécurité.
  • Même très agacés, les aidants, familiaux comme professionnels, devraient utiliser des termes respectueux vis à vis de la personne et de son domicile. Les uns comme les autres se sentent si mal après s’être laissés aller à leur énervement…

Pour réfléchir plus loin

La complexité de la relation aidant-aidé réside dans le fait qu’elle est duelle. Chacun campe sur une vision de la situation en ayant souvent bien du mal à envisager le point de vue de l’autre.

Parler de ses doutes, de ses ressentis, avec la personne aidée comme avec des proches ou des professionnels de la relation (médecin, psychologue voire psychiatre) est nécessaire.  Même si cela ne transforme pas la situation, cela transforme suffisamment les personnes pour qu’elles puissent « tenir » dans la durée.

par Mélanie Bazin, psychologue clinicienne.