Pourquoi les médecins se montrent-ils si souvent réticents à délivrer des informations sur l’état d’un patient à ses aidants, proches ou professionnels ? Et comment construire un dialogue constructif avec lui ? Les conseils de Mathilde Simonnet, médecin spécialisée en médecine générale.
Pourquoi les médecins se montrent-ils si souvent réticents à répondre aux questions des proches de leurs patients ?
La loyauté du médecin vis-à-vis de son patient doit être totale. Quand il parle avec celui-ci, le médecin doit garder une bienveillance constante et penser à l’intérêt de son patient avant tout. De même, lorsqu’il est amené à parler de son patient ou à le représenter devant des autorités de contrôle (type expertise ou médecin de caisse), il doit être strictement du côté de son patient et défendre les intérêts de ce dernier. Alors quand bien même un aidant et un aidé auraient un médecin en commun, le médecin doit préserver la loyauté qui l’unit à chacun de ses patients.
Jusqu’où défendez le secret médical ?
Je le défends le plus longtemps possible me rangeant jusqu’au bout du côté de la loyauté que je dois à mon patient. Je vous donne un exemple. Lors d’une visite au domicile d’un patient atteint d’un cancer en stade terminale, son épouse s’approche de moi et me confie : «Je sais bien qu’il n’en a plus pour longtemps, docteur, mais surtout, ne le lui dites pas, car il garde espoir que son mal soit curable. » Dix minutes plus tard dans la chambre close du mari, celui-ci me confie : « Je sais bien que je suis foutu, mais ne dites rien à ma femme, elle ne le supporterait pas. » Dans ce cas, le secret médical, comme la loyauté que je dois à mon patient, m’autorisent à lui dire : «Je pense que votre épouse est parfaitement au courant de ce qui vous attend et vous devriez en parler avec elle, cela ne peut que la soulager. » En revanche, le secret médical ne m’autorise pas à dire à son épouse : «Votre mari est parfaitement au courant de ce qu’il a, vous devriez en parler avec lui, cela pourrait vous aider tous les deux. » Si ce patient ne désire pas dire à son épouse qu’il connaît la gravité de son état, c’est son droit et je dois respecter sa volonté, pas forcément celle de son épouse.
Ne pensez-vous pas que les aidants, proches ou professionnels, ont une place à prendre dans l’alliance thérapeutique malade/soignant?
Si, bien sûr. Les proches aidants et parfois aussi les aidants professionnels occupent une place fondamentale et irremplaçable. Mais c’est en restant à cette place, sans chercher à se substituer à l’infirmière, au médecin ou au patient lui-même, qu’ils pourront être entendus et faire valoir leur importance dans la prise en charge de leur proche. Je plaide pour que les médecins observent une écoute attentive, bienveillante, prolongée, de ce que les aidants ont à dire sur le patient dont ils partagent la vie au quotidien et qu’ils connaissent le plus souvent depuis longtemps : un ressenti, une remarque par rapport à un traitement ou une décision médicale. Car l’aidant, proche ou professionnel, dispose d’une connaissance de son aidé(e) qui, si elle n’est pas médicale, est plus intime et plus profonde que celle que ne pourra jamais avoir le médecin. Une simple phrase comme « il (elle) n’est pas comme d’habitude, je ne saurais vous dire pourquoi mais je suis un peu inquiet (inquiète)» devrait en principe immédiatement alerter le soignant et lui faire rechercher «ce qui peut bien clocher» et qu’il n’a pas su voir.
Propos recueillis par Véronique Châtel