Difficile d’accompagner une personne qui a perdu le sens de l’autre. Faut-il la laisser dans ses pensées et paroles incohérentes ? Comment initier un échange ? Témoignage de Pierre, un bénévole d’accompagnement.
Germaine a la maladie d’Alzheimer. Elle crie longuement. On l’entend dès qu’on rentre dans le couloir de l’EHPAD. Elle appelle : « Mémé ! Mémé ! ». Elle a perdu l’usage de la parole cohérente et toute mobilité. Personne ne vient la voir.
Passer une demi-heure avec elle chaque semaine, c’est au début pour moi une astreinte. D’abord, je la pense inutile. Mais, peu à peu, cette vieille dame m’impose d’accéder à un temps que je ne pratique pas : silencieux, sans objet, statique, flottant. Le seul présent vécu.
Je lui prends la main. C’est aux mouvements de cette main dans la mienne, de moins en moins saccadés, que je ressens peu à peu son apaisement. Tout momentané. J’atteins avec elle une durée archaïque que je comparerais à celle que vit le nourrisson contre sa mère, l’état le plus lointain, celui dont nous provenons tous. Je n’en ai pas trouvé d’autre pour communiquer avec elle, si c’est possible.
Elle est attachée dans son fauteuil. Si elle-même ne parle plus, elle a autrefois parlé. Aussi, je parle. Je tente de lui rappeler le secours et les bienfaits d’un bain de paroles. Pour cela, j’utilise les graves de ma voix d’homme et je module en chant ce que je raconte, mes paroles. Elle s’essaye parfois à me répondre et je crois comprendre certains de ses mots.
Quand je la quitte, j’éprouve la certitude d’avoir parlé à la fois avec elle et avec une partie de moi. D’avoir dialogué.
Pierre, bénévole d’accompagnement dans un association.