Chaque prise en charge est particulière. Pas seulement parce chaque bénéficiaire est singulier. Aussi à cause de sa famille qui ne réagit pas toujours comme on l’imagine. Le témoignage éclairant de Soria.

« Appelez ma fille, elle vous dira quoi faire ». Dans une situation d’urgence, les bénéficiaires prononcent souvent cette phrase. (Ce qui me fait toujours sourciller intérieurement : dans la plupart des familles, quel que soit le milieu social, ce sont les filles qui s’occupent de leurs vieux parents). Parfois, c’est un sage conseil, parfois pas.  L’été dernier, j’ai remplacé une collègue chez une dame handicapée. A ma troisième visite, je l’ai découverte en train de suffoquer sur sa chaise roulante, les yeux révulsés et secouée par des spasmes. Cela nécessitait à mon avis et à celui de la référente de l’association pour laquelle je travaille, d’appeler les pompiers. Mais la dame m’a soufflé : « appelez ma fille, elle vous expliquera ».  Ce que j’ai fait. Elle m’a expliqué que sa mère, très angoissée, faisait régulièrement des crises de spasmophilie qui passaient toutes seules, que les pompiers qui s’étaient déjà déplacés pour cela, ne seraient d’aucune utilité. Il fallait juste que je lui parle et la rassure en lui caressant les mains. La crise s’est effectivement dissipée après quelques minutes. Quelques jours plus tard, je suis arrivée chez une dame que j’ai trouvée par terre, dans ses excréments et en train de gémir de douleur. Là encore, j’ai considéré, ainsi que ma référente, qu’il fallait alerter les pompiers. « Appelez ma fille » a articulé la dame entre deux spasmes. Ce que j’ai fait. Celle-ci a tout de suite minimisé ce que je voyais. « Ma mère est hypocondriaque. Dès qu’elle a le moindre petit bobo, elle en fait tout un plat. Si vous appelez les pompiers, ils vont l’emmener aux urgences or, moi, je n’ai pas le temps de venir aux urgences ». J’ai expliqué que sa mère paraissait vraiment douloureuse, la présence des excréments le confirmait. La fille m’a ordonné de ne pas appeler les pompiers. De la relever et de lui donner du paracétamol. J’ai essayé de soulever la dame, mais dès que je l’ai touchée, elle s’est mise à hurler. Alors, j’ai appelé les pompiers. Ceux-ci n’ont pas rechigné à l’emmener aux urgences : la dame souffrait d’une fracture au poignet d’une fracture aux côtes. Comme quoi, pour cette situation, j’ai eu raison de ne pas écouter la fille. D’ailleurs, elle ne me l’a pas reproché ».

Soria, auxiliaire de vie.