Qui est cette personne chez qui je m’engage à intervenir cinq jours par semaine ? Allons-nous bien nous comprendre et nous entendre ? Telles sont les questions qui s’imposent à chaque nouvelle rencontre entre un(e)  auxiliaire de vie sociale et un bénéficiaire. Le récit de Françoise.

C’est mon employeur prestataire qui m’a proposé de m’occuper en contrat mandataire de monsieur Dupont : une heure chaque jour sauf le week-end pour l’aide à la toilette et l’entretien du cadre de vie. Les repas étant livrés, la sœur se chargeant du linge. Monsieur Dupont demeurant à cinq kilomètres de chez moi, j’accepte.

Le premier jour d’intervention, il fait beau ; monsieur Dupont m’attend devant sa porte. Nos regards se croisent et je pense que nous sommes tous les deux soumis à cette interrogation : qui est cette personne avec qui je vais passer une heure, chaque jour ?

Son chien, un labrador noir, lui tient compagnie. Par chance, je n’ai pas encore été mordue par un chien, ce qui arrivera plus tard et occasionnera un accident du travail : je n’éprouve donc à ce moment-là aucune appréhension vis-à-vis du chien. Monsieur Dupont est tout à fait capable de se laver seul : il n’a pas de problème de mobilité, ni d’équilibre; l’aide à la toilette qui a été spécifiée est plutôt une stimulation à faire sa toilette. Son laisser-aller inquiète sa sœur.

Petit à petit, nous faisons connaissance, une confiance réciproque s’installe et monsieur Dupont se confie : il me raconte un peu la guerre d’Algérie. Il n’a pas fondé  de famille, il était docker. Il est resté vivre avec sa maman jusqu’à ce que celle-ci décède. Pour accéder à sa chambre, il lui fallait traverser sa chambre… Aujourd’hui, à 75 ans, il vit seul avec son chien et la solitude est pesante ; je m’aperçois que l’alcool l’aide à combler ses journées. Et je comprends un peu mieux pourquoi monsieur Dupont manque d’allant à faire les choses, y compris prendre soin de sa personne.

Malgré des épisodes difficiles où je le retrouve la tête dans ses mains après avoir trop bu, assis dans sa cuisine, le chien à côté de lui, fidèle, monsieur Dupont est d’un caractère plutôt souriant : nous discutons de choses et d’autres, simplement. Un jour pourtant, il me met la main aux fesses ce qui me fait tourner les sangs : après m’être ressaisie, nous réussissons à discuter de ce geste inapproprié. Tout penaud, il regrette et cela ne se reproduira jamais.

Au bout de trois ans d’accompagnement journalier, je verrai monsieur Dupont reprendre goût à s’occuper de son jardin potager ; il cultive des pommes de terre, des citrouilles et des courgettes qu’il ne mange pas mais qu’il offre à sa sœur et à sa nièce, les seules à venir lui rendre visite. Je me dis parfois que je ne suis sûrement pas étrangère au fait qu’il soit sorti de son apathie.  

Françoise Bouillon, auxiliaire de vie